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Cameroun : Paul Biya sort du silence et tente de rallumer la flamme du pouvoir

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À 92 ans, Paul Biya n’a visiblement pas dit son dernier mot. Absent de la scène publique pendant plusieurs mois, le chef de l’État camerounais a refait surface à Maroua, dans l’Extrême-Nord, pour lancer officiellement sa campagne en vue du scrutin présidentiel du 12 octobre. Un retour soigneusement orchestré, qui soulève autant d’interrogations qu’il n’en apaise.


Costume sombre, démarche mesurée, ton posé : tout, dans la mise en scène de ce déplacement, visait à rassurer. Paul Biya, au pouvoir depuis 1982, s’est adressé à une foule clairsemée, promettant de continuer à « servir le Cameroun avec dévouement ».

« Ma détermination à vous servir demeure intacte. Aucun jeune, qu’il soit diplômé ou non, ne sera laissé sur le bord de la route », a-t-il affirmé, sous les applaudissements mesurés de quelques partisans.


Mais l’image du président charismatique, jadis adulé, semble désormais loin. Derrière les drapeaux et les chants, beaucoup y ont vu la mise en scène d’un pouvoir vieillissant, attaché à l’idée de continuité plus qu’à celle de renouveau.


Paul Biya sortait d’un long séjour privé en Suisse, qui avait ravivé les spéculations sur sa santé. À Yaoundé comme à Douala, les rumeurs de succession allaient bon train. Son retour au Cameroun, début octobre, visait à couper court aux doutes. Pourtant, sa brève prise de parole à Maroua n’a pas suffi à dissiper les inquiétudes.


Le politologue camerounais Aristide Mono résume la situation : « Biya cherche à prouver qu’il contrôle encore le récit politique, mais le pays vit une transition silencieuse, que son entourage tente de retarder. »


En effet, dans les cercles du pouvoir, l’influence de la Première dame Chantal Biya, omniprésente à Maroua, alimente les spéculations sur un régime devenu largement familial.


Le choix de Maroua n’est pas anodin. Région clé du pays, l’Extrême-Nord a longtemps constitué un bastion du Rassemblement démocratique du peuple camerounais (RDPC). C’est là que Biya avait débuté sa campagne en 2018. Mais les équilibres ont changé.


Cette année, plusieurs figures politiques issues de cette zone comme Issa Tchiroma Bakary ou Bello Bouba Maïgari se présentent à leur tour, rompant avec le président. La région, marquée par la pauvreté et les attaques répétées de Boko Haram, n’offre plus le soutien inconditionnel d’autrefois.

« L’Extrême-Nord est devenu un champ de bataille électoral. Biya s’y rend pour montrer qu’il garde la main, mais les réalités locales ne jouent plus forcément en sa faveur », explique Arrey Ntui, chercheur à International Crisis Group.


Pour la majorité des jeunes Camerounais, le nom de Paul Biya incarne un régime figé. Beaucoup n’ont connu que lui au pouvoir. Dans les rues de Maroua, les réactions oscillent entre indifférence et lassitude.

« On ne vit plus, on survit. Le président parle d’emploi, mais ici, il n’y a que la débrouille », confie Ibrahim, 24 ans, vendeur ambulant.


La jeunesse camerounaise, majoritaire dans la population, regarde désormais ailleurs. Les promesses de stabilité et de développement, répétées depuis des décennies, n’ont plus le même écho. Les jeunes connectés, tournés vers l’Afrique émergente, aspirent à un changement de génération que le régime peine à incarner.


Contrairement à ses rivaux, Paul Biya a tardé à entrer dans la bataille électorale. Ses adversaires sillonnent le pays depuis fin septembre, multipliant les meetings et les débats. Lui, jusqu’à présent, s’était contenté d’une courte vidéo diffusée sur les réseaux sociaux — aussitôt moquée pour sa mise en scène artificielle.


Sa réapparition à Maroua, la première depuis le mois de mai, se voulait une démonstration de vitalité. Mais le contraste entre la volonté d’afficher la force et la réalité du terrain a sauté aux yeux. Peu de ferveur, beaucoup de formalisme : le rendez-vous ressemblait davantage à une cérémonie d’adieu qu’à un lancement de campagne.


Après plus de quarante ans de pouvoir, Paul Biya aborde cette élection comme une ultime épreuve. Son régime, symbole d’une stabilité autoritaire, s’essouffle. À Yaoundé, les diplomates s’interrogent sur l’après-Biya : qui tiendra le pays lorsque le vieux lion quittera la scène ?


Pour l’heure, le président s’accroche à son rôle d’équilibriste. Il parle d’unité et de paix, mais son autorité repose davantage sur l’appareil sécuritaire que sur un élan populaire. « Ensemble, nous irons plus loin », a-t-il lancé pour conclure son discours.


Un slogan familier, répété depuis quarante ans, mais qui semble désormais s’adresser à un public de plus en plus sceptique.


Le retour de Paul Biya à Maroua n’a pas relancé la ferveur. Il a plutôt confirmé l’image d’un régime fatigué, suspendu entre le passé et l’inconnu. À quelques jours du scrutin, le Cameroun s’interroge : l’homme qui a incarné la stabilité pendant quatre décennies saura-t-il reconnaître le moment de passer le flambeau ou livrera-t-il, une fois encore, son dernier combat ?




Léna Keïra

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